A Madoumaisello Marguarido
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Madoumaisello Marguarido,
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Ieu vous pregui, nou siats marrido,
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Se nou vous mandi re de bel.
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Se vous sabiats mon naturel,
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De mi, paure Augié Gaillhard,
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Vous o pendriats en bouno part ;
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Que certos ieu serio marrit
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De vous manda un mout d'escrit,
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Que nou foures à vostre agrat ;
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Puleau foures ieu trespassat,
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Que d'estre en vostro mala grasso.
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Mas que voulets vous qu'ieu y fasso,
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Se nou sabi fa re de bou ?
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Noble seignour de Monbetou,
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Amai sa mouillhé vostro sor,
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Que sont tous nobles coumo l'aur,
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Me disserou darrieramen
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Que mandavets expressemen
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Que vous mandessi calque rimo.
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Helas, ieu n'ey pas cap de limo,
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Per la lima à mon plazé.
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Mas un jour, quant auray lezé,
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La limarey un pauc millou,
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Que vous endourmirez al sou.
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Mas escoutats me, se vous plai ;
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Be me disserou quicom mai,
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Que n'ero pas dedins la lettro :
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Se trouvavem uno carretto,
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Que vous mandissem d'
ypoucras.
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Mas aquo n'es pas vostre cas !
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Ieu m'entendi en medecino :
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Metets cozé uno gallino
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Sur la diano an de caulets.
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Be fario millou de porretz,
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Car un porre aquo es la perlo,
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Especialmen per uno
esterlo,
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Quant la matrisso la suffoquo,
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Que ly monto daquio la bouquo.
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Mas à prepos de l'hypoucras,
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Ieu vous preguy, n'en beguats pas,
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Ni nou mangetz de carn de lebre :
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Se ne mangeats, la vostre febre
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Vous durara daquio l'estiou.
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Vous poudetz be remercia Diou,
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Quant vostre portur m'a trouvat :
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Que la peste l'age crevat
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Vostre medecy, l'inoucent.
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El a perdut l'entendement,
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O ieu disi qu'el l'a vendut,
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Beleau jamai nou n'a agut,
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Aital me pouyrio be trompa.
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Se ieu sabio de l'attrapa,
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Mas que fesso pus bel soleil,
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Ieu anario parla damb el,
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Et ly dirio un
"foutimas"
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Per el et per son ypocras.
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Car ieu vous dic, Madomaisello,
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Que me turmenty la cervello
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Contre aquel medecy mal sage,
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Quant vous ordouno aquel beurage.
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Que sera fi de la presento,
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Ieu vous pregui, n'ageats pas crento,
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Que d'aquel mal vous mourisquats,
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Car toutes an lous oeils marquats,
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Coumo vous, quant la luno tourno ;
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Aquo partis quant on enfourno
-
Lou pa, entre que'l fourn es caut.
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Dieu vous doune qualque hugounaut,
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Que sio un segoun Annibal,
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Que vous guarisquo d'aquel mal.
A Mademoiselle Marguerite
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Mademoiselle Marguerite,
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Je vous en prie, ne soyez pas fâchée,
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Si je ne vous envoie rien de beau.
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Si vous connaissiez mon naturel,
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A moi, pauvre Auger Gaillard,
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Vous le prendriez du bon côté ;
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car certes je serais marri
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De vous envoyer un mot d'écrit
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Qui ne fût pas à votre gré.
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Fussé-je plutôt mort,
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Que d'être en votre mauvaise grâce.
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Mais que voulez-vous que j'y fasse,
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Si je ne sais rien faire de sérieux ?
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Le noble seigneur de Montbeton,
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Et sa femme, votre soeur,
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Qui sont tous nobles comme l'or,
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Me dirent dernièrement
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Que vous me demandiez expressément
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De vous envoyer quelque poésie.
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Hélas, je n'ai pas de lime
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Pour la limer à mon aise.
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Mais un jour, quand j'en aurai le loisir,
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Je la limerai un peu mieux,
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Si bien que vous vous endormirez à sa musique.
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Mais écoutez-moi, s'il vous plaît;
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On me dit autre chose,
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Qui n'était pas dans la lettre :
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Si nous trouvions une charrette,
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Que nous vous envoyions de l'hypocras.
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Mais ce n'est pas ce que nécessite votre cas !
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Je m'entends en médecine :
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Mettez à cuire une poule
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De bon matin avec des choux.
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Ce serait mieux avec des poireaux,
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Car un poireau est la perle des remèdes,
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Surtout pour une célibataire,
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Quand la matrice la suffoque,
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Au point de lui monter jusqu'à la bouche.
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Mais à propos de l'hypocras,
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Je vous en prie, n'en buvez pas,
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Et ne mangez pas de viande de lièvre :
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Si vous en mangez, votre fièvre
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Vous durera jusqu'à l'été.
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Vous pouvez remercier Dieu
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De ce que votre porteur m'a trouvé :
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Que la peste ait fait crever
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Votre médecin, le niais.
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Il a perdu son intelligence,
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Ou je dis qu'il l'a vendue,
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Peut-être n'en a-t-il jamais eue,
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Car je pourrais là-dessus me tromper.
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Si je savais pouvoir le joindre,
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Pourvu qu'il fît un peu plus de beau soleil,
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J'irais parler avec lui
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Et je lui dirais un " foutimas "
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Pour lui et son hypocras.
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Car vous dis-je, Mademoiselle,
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Je me tourmente la cervelle
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Contre ce médecin peu sage,
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Qui vous ordonne ce breuvage.
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Pour finir la présente lettre,
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Je vous en prie, n'ayez pas peur
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De mourir de ce mal,
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Car tout le monde a les yeux cernés
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Comme vous, quand la lune est nouvelle ;
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Cela s'en va quand on enfourne
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Le pain, tant que le four est chaud.
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Que Dieu vous donne quelque huguenot,
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Qui soit un second Annibal,
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Qui vous guérisse de ce mal.