A Mousur lou visconte de Moncla
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Mousur, à vous me recoumandy,
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Mas pauros nouvellos vous mandy :
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Ieu soy tristo despeys la pats,
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Et soy magre, que no creyriats.
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Mas d'uno part n'es pas ses causo :
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Mon payre te petito taulo.
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Helas, Mousur, lou tens passat,
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Que ieu ero fort pla trattat,
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Toutjoun mon sadoul de poulaillo,
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Ses ne pagua dinié ni maillho !
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Aros no mangy à l'houstal
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Que forso sebos et forso ail,
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Qu'es merebillos que sio vieu,
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Car aquo es d'aboul digestieu.
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Nou direy pus mal de la guerro,
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Car ieu y fasio bouno chiero
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Et l'on m'appelavo " Mosur "
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Aros l'on m'apello " trompur ".
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Non parli pas tant de los gens,
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Ieu lous preny per inoucens,
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Mas tant soulamen las poulaillos :
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Quant las troby, me fan bravados ;
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Talomen que darrieramen
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Ne trouveri un regimen
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Qui piquavou per un coudert.
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Mas ieu fouri leu descubert ;
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Me diserou : " Hola, Augié,
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Vous n'ets pas pus arquabouzié ? "
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Ieu, be marrit, los regardavo ;
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Mas, d'uno part, ieu me fachavo
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Quand vezio lour meissansetat :
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Jamai pus nou n'aurey pietat.
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Diseri al poul et à las gallinos :
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" Toutjoun ets estados lanfrinos !
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Mas beleau tournara lou tens
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Que aurez mestiez de las gens ".
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Elos disiou de lour audasso :
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" Augié, prenetz une pigasso,
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Et pensats d'ana trevailla,
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Nou pensets pas d'ana pana.
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Car lou coumun nous dis vertat :
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Qui re nou fa, non manducat ".
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Mousur, me penseri embay,
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Quant las auzio parla lati ;
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Tallomen que fouri confus
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Et nou lour diseri re pus.
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Car ieu vezi qu'el es vertat
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Que nou me cal pus fa del fat.
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Mosur, ieu be fario per vous
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Coumo un roussi pels esperous,
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Et vous proumetti, s'ey lezé,
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Que ieu vous vendrey leu vezé.
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Tant a que ieu serio vengut,
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Mas qu'avetz vist qu'el a plogut.
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Et farey fi de la presento ;
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Tenguessi ieu de poulos trento,
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D'aquellos qu'erou pel camy,
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Que se trufavou aital de my,
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Car ieu, Mousur, Augié Gaillhard,
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Los trattario coumo un rainard !
(Fr) A Monsieur le vicomte de Monclar
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Monsieur, je me recommande à vous ;
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Je vous envoie mes piètres nouvelles :
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Je suis triste depuis la paix,
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Et je suis maigre, comme vous ne le croiriez pas.
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D'abord ce n'est pas sans cause :
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Mon père s'en tient à un petit menu.
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Hélas Monsieur le temps est passé
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Où j'étais fort bien traité :
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Toujours mon saoul de volaille,
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Sans payer denier ni maille !
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Maintenant je ne mange à la maison
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que beaucoup d'oignons et beaucoup d'aïl ;
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Si bien que c'est une merveille que je sois vivant,
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Car c'est d'une digestion difficile.
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Je ne dirai plus de mal de la guerre,
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Car j'y faisais bonne chère
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Et l'on m'appelait "Monsieur ",
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Maintenant on m'appelle " trompeur ".
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Je ne parle pas tant des gens :
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Je les tiens pour innocents,
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Mais seulement des poules :
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Quand je les rencontre,
elles me lancent des bravades.
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Tellement que dernièrement
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J'en trouvai un régiment
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Qui picoraient dans un pré.
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Or je fus bientôt découvert
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Et elles me dirent : "Holà ! Auger,
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Vous n'êtes plus arquebusier ? "
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Moi, je les regardais bien mortifié ;
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D'abord j'étais irrité
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De voir leur méchanceté :
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Jamais plus je n'en aurai pitié.
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Je dis au coq et aux poules :
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" Vous avez toujours été de caractère difficile.
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Mais peut-être reviendra le temps
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Où vous aurez besoin des hommes ".
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Dans leur audace elles disaient :
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" Auger, prenez une hache,
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Et pensez à aller travailler,
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Ne pensez pas à aller voler.
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Car le peuple a raison de dire :
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Qui ne travaille pas, ne mange pas ".
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Monsieur, je pensais être ébahi,
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Quand je les entendais parler latin ;
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Tellement que je fus confus
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Et je ne leur dis plus rien.
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Je vois que c'est vrai,
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Il ne me faut plus plaisanter.
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Monsieur, j'agirais bien sous votre impulsion
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Comme un roussin sous celle des éperons ;
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Je vous promets, si j'en ai le loisir,
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De venir bientôt vous voir.
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Si bien que je serais déjà venu,
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Mais vous avez vu qu'il a plu.
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J'achève la présente lettre.
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Puissé-je tenir trente poules,
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de celles qui étaient sur mon chemin
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Et se moquaient ainsi de moi
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Car, Monsieur, moi, Auger Gaillard
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Je les traiterais comme ferait un renard !