A Monsieur de la Roque
			
			
			
					
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						El a lon tens, Monseignour de la Roquo,
					
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						 Que me fachi an aquesto bicoco (1) :
					
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						Et ieu vezi que lou monde me crido
					
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						 Quant nou gagny sonque la pauro vido
					
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						 Mas ieu lour dic que ieu preni pasensio,
					
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						   Que be fa prou qui gagnio la despenso.
					
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						   Lou mal es que d’uno causo me plangy :
					
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						  Me cal pana tout aquo que ieu mangy ;
					
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						   Mas que, Mousur, aqueste tens so porto,
					
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						   Que m’es forso de vieure de lo sorto.
					
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						  Ieu nou podi fa deguno trafiquo, 
					
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						  Sonque pourta l'harquabuzo ou piquo, 
					
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						  Qu'es un estat que nou me play pas gaire, 
					
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						 Car ieu vezi qu'es forso d'estre laire.  
					
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						   Quant ieu passi per villos et bourgados,
					
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						   Me cal pana madaissos et	fuzados	:
					
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						   A my me cal toutjoun forso de cordo,
					
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						  Per tal se ieu fugio dins qualque bordo,
					
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						  Et l’enemic me venguez ataca ;
					
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						  A miegio nech lo vouldrio estaca
					
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						En qualque trau, ou drech uno fenestro ;
					
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						 Et l’enemic pensan que ieu fez testo,
					
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						 Me cridarian : « Augié, vos te tu redre ? »
					
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						 Peys l’endema,	viehdaze, anats lou querre :
					
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						 El s’es salbat aicy per la fenestro !
					
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						 Vela, Mousur, que d’ave cordo presto.
					
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						 Mas quant à mi, re plus nou pani poun,
					
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						 Sonque aital so que me fa besoun.
					
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						Mas per veny, Mousur, à l’equivoco
					
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						Ieu voldrio be, Monseignour de la Roquo,
					
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						Que me tingats un pau per escusat
					
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						Quant a lon tens que ieu nou soy passat
					
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						A Sant Jery, per afi de vous veyre.
					
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						Helas, Mousur, ieu vous pregui de creyre
					
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						Que jamai ieu n’y soy gaussat ana,
					
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						Creignan que ieu nou me pouguez tourna ;
					
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						Car vous vesets que’l tens es dangiarous,
					
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						Et d’autro part, lou monde es malurous.
					
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						 Se ieu ero pres per lous de Rabastens,
					
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						Ieu ey gran paur que me rompriou las dens.
					
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						Car lous poltrons toutis me volou mal ;
					
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						 Mas que, Mousur, ieu be lour dic aital,
					
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						 Et se jamai intraven an l’escallo,
					
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						 Lous dous Delerm et Monse de la Salo
					
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						 Seriou salvats, et non pas	degus pus !
					
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						 Aquelis tres counoessou tout l’abus,
					
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						 Et toutis tres son bous galafretiés,
					
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						Que m’an mandat si ey de re mestiés ;
					
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						Ieu trouvarey en els toutjoun credit,
					
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						Mas que nou sio sonque de calque hardit.
					
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						Aqui vezi que tous son mous amics
					
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						Coumo l’ostour de los pauros perlics.
					
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						Ieu escrieurio encairos davantatge,
					
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						 Mas que, Mousur, ieu nou soy pas fort satge,
					
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						Car mon cervel et mon entendemen
					
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						Counoessou be que ieu soy inoucen,
					
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						Et me disou : se vous escribi gaire,
					
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						Vous facharey en loc de vous complaire.
					
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						Helas, Mousur, ieu serio fort marrit
					
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						De vous facha : pusleu fous ieu maudit !
					
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						Nou crejats pas que ieu sio de tout fat,
					
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						 Qu’à mi nou me brembe del tens passat ;
					
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						 So que disiou nostres paures aujols,
					
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						 Quant parlavou an lours bouts ou fillols,
					
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						 Que lour disiou leumens après soupa :
					
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						 « Nou rompats pas lou fourn que  coy lou pa ».
					
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						 Aquo d’aqui d’elis ey retengut.
					
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						 El a lon tens que ieu soy pla vengut
					
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						 A Sant Jery, qu’es la vostro maisou,
					
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						Là ont y ero Mousur de Cournisou,
					
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						 Que me davo toutjoun forso d’argen ;
					
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						 Et per aquo ieu serio inoucen
					
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						 De vous facha, Mousur, mon grand amic :
					
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						 Ieu mario mai rompre un crucefic
					
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						 Anb un gros mailh, o an belo piguasso,
					
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						 Coumo feri, quinze ans a, à la plasso
					
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						 De Rabastens, à la	 premiero guerro
					
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						  A un fort naut feri mettre par terro.
					
 
			
			
					
			
					(Fr) A Monsieur de la Roque
			
			
			
				
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						Il y a longtemps, Monseigneur de la Roque,
					
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						Que j'ai sujet de me plaindre de cette bicoque :
					
- 
						Je vois que les gens me crient
					
- 
						 Que je ne gagne que ma pauvre subsistance.
					
- 
						 Je leur réponds que je prends patience,
					
- 
						  Que c'est assez faire que de gagner sa nourriture.
					
					- 
						   Malheureusement j'ai à me plaindre d'une chose :
					
- 
						  Il me faut voler tout ce que je mange ;
					
- 
						  Il est vrai, Monsieur, que c'est un produit de notre époque :
					
- 
						   Je suis forcé de vivre de la sorte.
					
- 
							 Je ne puis exercer d'autre métier
					
- 
						   Que celui de porter l'arquebuse ou la pique,
					
- 
						  Etat qui ne me plait guère,
					
- 
						 Car je me vois forcé d'être voleur.
					
- 
						 Quand je traverse villes et bourgades,
					
- 
						 Il me faut voler écheveaux et fusées :
					
- 
						  Moi, il me faut toujours beaucoup de corde,
					
- 
						 Dans le cas où je me réfugierais dans une ferme
					
- 
						 Et que l'ennemi vînt m'attaquer.
					
- 
						 A minuit je voudrais attacher la corde
					
- 
						 A quelque trou dans la muraille ou en pleine fenêtre.
					
- 
						 L'ennemi, pensant que je tiens tête,
					
- 
						Me crierait : " Auger, veux tu te rendre ? "
					
- 
						 Puis le lendemain, viédaze, allez le chercher !
					
- 
						 Il s'est sauvé ici par la fenêtre !
					
- 
						Voilà, Monsieur, ce que c'est que d'avoir de la corde prête.
					
					- 
						Quant à moi, je ne vole rien d'autre
					
- 
					 Que ce qui me fait ainsi besoin.
					 
- 
						Mais pour en venir au malentendu,
					
- 
						 Je voudrais bien, Monseigneur de la Roque,
					
- 
						 Que vous me teniez pour un peu excusé
					
- 
						  De ne pas être passé depuis longtemps
					
- 
						  A Saint Géry, pour vous voir.
					
- 
						Hélas ! Monsieur, je vous prie de croire
					
- 
						Que je n'ai jamais osé y aller,
					
- 
						 Craignant de ne pouvoir revenir.
					
- 
						 En effet, vous le voyez, les temps sont dangereux
					
- 
						 Et d'autre part, les gens sont méchants.
					
- 
						Si j'étais pris par ceux de Rabastens,
					
- 
						 J'ai bien peur qu'ils me rompraient les dents.
					
- 
						Car les poltrons, ils me veulent tous du mal ;
					
- 
						 Moi aussi, Monsieur, je leur rends la  pareille
					
- 
						  Et, si jamais nous entrions chez eux par escalade,
					
- 
						  Les deux Delherm et Monseigneur de la Salle
					
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						   Seraient sauvés, mais personne d'autre !
					
- 
						 Ces trois ont pleine conscience des abus commis,
					
- 
						Et tous trois sont de bons vivants,
					
- 
						Qui m'ont fait demander si je n'ai besoin de rien.
					
- 
						Je trouverai chez eux toujours crédit,
					
- 
						Ne serait-ce que de quelques liards.
					
- 
						Je vois qu'à Rabastens tous les autres sont mes amis
					
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						 Comme l'autour l'est des pauvres perdrix.
					
					- 
						J'écrirais encore d'avantage,
					
- 
						Mais, Monsieur, je ns suis pas très habile,
					
- 
						Car mon cerveau et mon intelligence
					
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						  Savent bien que je suis peu doué
					
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						   Et me soufflent : pour peu que je vous écrive,
					
- 
						  Je vous fâcherai, au lieu de vous plaire
					
- 
						 Hélas, Monsieur, je serais désolé
					
- 
						 De vous fâcher : plutôt fussé-je maudit !
					
- 
						Ne croyez pas que je sois complètement fou,
					
- 
						Au point de ne pas me souvenir du temps passé,
					
- 
						Ni de ce que disaient feu nos ancêtres,
					
- 
						 Quand ils parlaient à leurs neveux ou filleuls.
					
- 
						  Ils leur disaient ordinairement après souper :
					
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						 " Ne détruisez pas le four qui cuit le pain ".
					
- 
						  Voilà ce que j'ai retenu d'eux.
					
- 
						Il y a longtemps que je suis le bienvenu
					
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						  A Saint Géry, qui est votre château,
					
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						 Là où était Monsieur de Cornusson,
					
- 
						 Qui me donnait toujours beaucoup d'argent.
					
- 
						 Aussi serais-je sot
					
- 
					 De vous fâcher, Monsieur, mon grand ami :
					
- 
						 Je préfèrerais rompre un crucifix
					
- 
						 Avec un gros maillet ou une grande hache,
					
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						 Comme je fis, il y a quinze ans, sur la place
					
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						 De Rabastens lors de la première guerre,
					
- 
						 Où j'en fis jeter à terre un fort haut.