Le titre complet de ce poème, publié dans "Lou Banquet", est :
"Demoustranso als souldats del mal que fan
à la guerro et del mal qu'els y endurou, et qu'el cal obey al rey".
C'est un des plus beaux poèmes d'Auger Gaillard ; il l'a écrit en soutien au roi de France,
à l'occasion de la paix de Fleix en 1580.
Demoustranso als souldats
Avets visto, soldats,
aquelo demonstranso
Que tantos ey trameso al noble rey de Franso,
Que parlo calque pauc contro tous lous soldats,
Et contro touts aquels que vous an coumandats.
Mas ieu vous asseguri, et vous podi prometre
Que lou deime del mal ieu n'ey pas voulgut metre ;
Per so qu'al noble rey, coumo lou mounde sap,
Ieu nou vouldrio jamai douna ly mal de cap.
Mas countat soulamen ly n'ey uno partido,
Ly disen qu'à la guerro on tey maisanto vido,
Et qu'on lou prego fort de nous douna la pats.
So que'l boun rey a fah, per tal que vous, souldats,
Nou fasquats plus de guerro en son rialme de Franso ;
Vous autres ets soutgets, la vido n'es plus vostro ;
Et per sept franx lou mes, souben voulgats ou nou,
Vous cal ana debant la gorgio d'un canou,
Amai à la mercé de milo arquabouzados,
Quant cal ana douna l'assaut o escalados ;
Et se'l desastre vol que l'on sio repoussat,
Lous paures souldats morts emplisou lou foussat,
Et lous autres blasats pel cors et per las queissos,
O routo calquo cambo, o calque bras, que peissos
Lour cal pourta uno crosso o dous per un lounc tens,
Et dabeguados sou per tout jour impotens,
Que, se n'an de moyens, o calque boun amic,
Lour cal debant las gens fa lou
mieh croucific.
Dejoust lou cel n'a poun vido tan malhurouso
Coumo la del souldat, ni de plus dangiarouso.
Enquaros vous fachiats, se pot estre beleu,
Et disets que la pats es vengudo trop leu ?
Vous autres monstras bé que lou diable vous meno,
Car lou rey fa la pats per vous tira de peno,
Per tal que dourmisquats ses crento en vostre lieh.
Recounoisets lou dounc quant fa vostre profieh,
Cresets lou, laisats touts la guerro malhurouso,
Fasetz touts coumo mi, vendes vostr'arquabouso ;
Ieu souy estat souldat, mas aros nou souy gés,
Per so que nous fasian trop de mal sul pagés.
En loc de douna argen, quant lour bé l'on mangiabo,
Calio qu'els no'n bailesou, o bé l'on lous pengiabo !
Per aquo l'arquabouzo amai lous fournimens
Venderi per crompa un jour de ferramens.
Ieu voli tourna fa, coumo fasio, quarretos :
Ieu souy trop las d'auzi tabouris et trompetos.
Ieu souy las de vezé tantis de brulamens,
Amai d'ausi parla de tans de violamens.
Ieu souy las de vezé tantos persounos mortos.
L'on y veh fa de mal de mai de milo sortos !
So que fort pla bastit abiou nostres augiols,
L'on veh aros brula à calques fatz et fols.
Enquaros que la guerro un autre cop rebenguo,
C'ieu y vau jamai pus, c'on me coupo la lenguo !
A la guerro jamai non voli plus tourna.
Jamai al grat de touts on nou sap camina :
Quant ieu ero en renc, disiou :"Marche la testo !"
Et tout incontinen : "Altou, souldat, arresto !"
Peys cridabou :
"Lounc bois !"
quant et quant :
"Sarroum nous !"
Vous veziats bé, souldats, qu'on se risio de nous
Et nous autres tout jour gagnaben la victorio,
Et peisos un tout soul ne pourtabo la glorio,
Enquaros qu'el n'i fous ; car el me soubé pla
Qu'un jour nous uno vilo aneren escala,
Que lou que nous menabo ero len de la vilo,
quant nous daben dedins, a de passes dous milo,
Amai peis se vantec qu'el abio prés lou fort,
Et de nostre butin el nous fec un gran tort.
Talo faisou de fa ieu troubado fachouso,
Que per aquo ieu ey vendudo l'arquabouzo,
Per so que lous butins n'erou pla despartits.
Tout jour lous grandis cos devorou lous petits !
et d'autro part, souldats, lou noble rey ourdouno
Que touts visquan en pats, et peys el nous perdouno
Tout lou mal qu'aben fah, coumo toutis vesen :
N'en pas nous de poultrous, se touts nou lou cresen ?
Per aquo quiten dounc armos et gibelinos,
Nou fasquan plus la guerro à las pauros galinos,
Nou fasquan plus leba las gens aital la neh :
Souben touts englatgiats lous tiraben del lieh.
Car ieu me souy troubat que l'alarmo sounabo,
Que ieu tout englatgiat lou gipou me causabo,
Et las caussos vestio, que de l'englatgiamen
Ieu nou me sabio pas vesti l'acoutramen !
Ieu ey vistes de fats en mon temps may de trento,
Que disiou que jamai n'aguerou pas de crento ;
Mas elis n'an pas dounc à la palmo jougat,
Ni mai cap de mouquet n'an an lous dets moucat ?
A la palmo, counbé qu'on agio bon couratge,
On a crento tout jour dels els o del visatge ;
Et se voulets mouqua un mouquet an lous dets,
Tout jour vous aurets paur que vous vous escaudets.
Et toutis lous qu'an dih que n'an pas jamai crento,
An cagat dous cens cops, o cent, que ieu nou mento,
Dins las caussos de paur, et volou dire aici
Que jamai elis paur n'an agudo bouci !
Mas elis an mentit, car l'on nou sap gindarmo,
Qu'el nou tremble de paur quant on souno l'alarmo.
Mas aquo m'es toutu, ieu lous laissi vanta ;
Tout es, souldats, que'l rey el nous cal contenta :
Que nous visquan en pats aital coumo coumando,
Lou boun rey autro cauzo à nous el nou demando.
Fasem dounc so qu'el vol, et ieu li vau manda
Qu'el nous perdoune touts, q'on se vol emenda.
Démonstration aux soldats
Vous avez vu, soldats, l'exposé
Que j'ai envoyé tantôt au noble roi de France
Et qui parle quelque peu contre tous les soldats,
Et contre tous ceux qui vous ont commandés.
Je vous assure et puis vous garantir
Que je n'ai pas voulu y mettre le dixième du mal ;
Car au noble roi, comme l'on sait,
Je ne voudrais jamais donner mal de tête.
Je lui en ai raconté seulement une partie,
Lui disant qu'à la guerre on mène une vie immorale
Et qu'on le prie bien de nous accorder la paix.
C'est ce que le bon roi a fait, pour que vous, soldats,
Ne fassiez plus de guerre en son royaume de France ;
Il veut que vous viviez tous dans la sécurité.
Tel est l'accord dernièrement conclu à Coutras.
Vivez donc autrement que jusqu'ici,
Sinon, soldats, il vous faut comprendre
Que le roi désormais entend se faire craindre là-dessus ;
Car des gens de bien m'ont dit qu'il n'entend pas
Qu'on mange sans payer la poule aux dépens du paysan.
D'autre part il a fait publier la défense
Sous peine de mort, à tout soldat,
Papiste ou de la religion,
De lever toute contribution.
Ecoutez-le donc, soldats, quittez cette guerre,
Qui tant a fait traîner le ventre par terre.
Faites donc ce qu'il veut, car Sa Majesté
Entend que chacun soit remis dans son état antérieur.
Si la paix est observée, comme l'on pense,
N'ayez pas souci de gagner votre pitance,
Et vous vivrez selon Dieu plus honorablement,
Car à la guerre on mène une vie bien misérable.
La vie du bétail est bien plus heureuse
Que celle du soldat avec sa belle arquebuse ;
Car le bétail au moins repose toute la nuit,
Tandis que vous, à l'heure de vous mettre au lit,
Il vous faut aller sur une muraille ;
Vous vous contenteriez d'un peu de paille,
Pour la mettre sous la tête, mais vous n'en avez pas un bout,
Car souvent il vous faut vous contenter d'une pierre comme oreiller;
Quand vous devriez dormir, il vous faut monter la garde,
Et presque toujours être éveillé,
Afin d'être prêt à aller au combat,
Quand la trompette sonne, ou que le tambour bat l'alarme,
Pour aller escalader la muraille ;
Ou si l'on sonne l'assaut, ou la bataille,
Si la trompette sonne, ou votre tambour,
Il vous faut aller n'importe où, dussiez-vous en mourir.
Car sitôt que vous avez participé à la revue,
Vous êtes esclaves, votre vie ne vous appartient plus ;
Pour sept francs par mois, de gré ou de force,
Il vous faut souvent aller devant la bouche d'un canon,
Et à la merci de mille arquebusades,
Quand il faut aller donner l'assaut ou l'escalade ;
Et si le malheur veut que l'on soit repoussé,
Les pauvres soldats morts emplissent le fossé,
Tandis que les autres, blessés au tronc ou aux cuisses,
Ou une jambe, un bras brisés,
Doivent ensuite porter une crosse, ou deux, pendant longtemps ;
Parfois ils sont impotents pour toujours et,
S'ils n'ont pas de moyens ou un ami secourable,
Il leur faut devant les gens se tenir comme un demi-crucifié
Sous le ciel il n'y a point de vie aussi malheureuse
Que celle du soldat, ni de plus dangereuse.
Peut-être bien encore vous vous plaignez
En disant que la paix est venue trop tôt ?
Vous montrez bien que le diable vous mène,
Car le roi fait la paix pour vous tirer de peine,
Pour que vous viviez sans crainte dans votre lit.
Reconnaissez qu'il cherche votre avantage;
Ecoutez-le, laissez tous la malheureuse guerre,
Faites tous comme moi, vendez votre arquebuse ;
J'ai été soldat, mais je ne le suis plus maintenant,
Parce que nous faisions trop de mal aux dépens des paysans.
Au lieu de leur donner de l'argent, quand on mangeait leur bien,
C'était eux qui devaient nous en donner, sinon on les pendait !
Aussi un jour ai-je vendu l'arquebuse et les équipements,
Pour acheter des bandages de roues.
Je veux faire de nouveau des charrettes, comme autrefois :
Je suis trop lassé d'entendre tambours et trompettes.
Je suis lassé de voir tant d'incendies
Et d'entendre parler de tant de viols.
Je suis lassé de voir tant de morts.
On voit à la guerre tant de mal, plus de mille sortes de mal !
Ce que nos aïeux avaient très bien bâti,
On le voit brûler maintenant par quelques fous enragés.
Même si la guerre revient encore une fois,
Si j'y retourne jamais, qu'on me coupe la langue !
Je ne veux jamais plus revenir à la guerre.
On ne saurait jamais marcher au gré de tous :
Quand j'étais en rang, on donnait l'ordre : "en tête, marche !"
Et tout de suite: "Halte soldat, arrête !";
puis on criait : "Longs bois !" et tout de suite :
"Serrons-nous !"
Vous voyiez bien, soldats, qu'on se moquait de nous.
De plus quand nous avions remporté la victoire,
Un tout seul en portait la gloire,
Bien qu'il n'eût pas été au combat ; car je me souviens bien
Qu'un jour où nous allâmes donner l'escalade à une ville,
Celui qui nous conduisait, était éloigné de la ville
au moment où nous entrâmes, de deux mille pas ;
Et cependant ensuite il se vanta d'avoir pris la forteresse
Et nous fit un grand tort au sujet de notre butin.
Je trouvais fâcheuse cette façon de faire,
Aussi ai-je vendu mon arquebuse,
Parce que les butins n'étaient pas bien répartis :
Toujours les gros chiens dévorent les petits !
D'autre part, soldats, le noble roi ordonne
Que nous vivions tous en paix, et il nous pardonne
Tout le mal que nous avons fait, comme nous le voyons tous :
Ne sommes nous pas des lâches, si nous ne l'écoutons pas tous ?
Aussi quittons armes et javelines ;
Ne faisons plus la guerre aux pauvres poules ;
Ne faisons plus lever les gens la nuit :
Souvent nous les tirions du lit, tout saisis de froid.
Car je me suis trouvé des fois, lorsque l'alarme sonnait,
Tout glacé, chaussé de mon pourpoint
et en train d'endosser des chausses : transi de froid,
Je ne savais pas revêtir mes habits !
J'ai vu des fous, en mon temps, plus de trente,
Qui disaient qu'ils n'eurent jamais peur ;
N'ont-ils pas joué à la paume,
Ni mouché un lumignon avec leurs doigts ?
Au jeu de paume, malgré son courage,
On craint toujours pour ses yeux ou son visage ;
Et si vous voulez moucher un lumignon avec les doigts,
Vous aurez toujours peur de vous brûler.
Et tous ceux qui ont dit qu'ils n'ont jamais peur,
Ont fait deux cent fois, ou cent, pour ne pas mentir,
Dans leurs chausses de peur, et ils veulent dire ici
Qu'ils n'ont jamais eu aucune peur !
Ils ont menti : car on ne connait aucun homme d'armes
Qui ne tremble de peur quand sonne l'alarme.
Mais cela m'est égal, je les laisse se vanter ;
L'important, soldats, est que vous devez contenter le roi :
Vivons en paix, comme il le commande ;
Le bon roi ne demande pas autre chose.
Faisons donc ce qu'il veut ; et je veux lui envoyer
Une demande de pardon général, car on veut s'amender
La version rap du poème a été réalisée en 2019 par la classe de 3ème option occitan de Mr Konopnicki du Collège Gambetta de Rabastens
(l'accompagnement musical est assuré par le groupe Mauresca Fracas Dub).